Étant encore au monastère (de l'abbé Séridos), je fus, une fois, assailli d’une tristesse immense et intolérable. J'étais si abattu et dans une telle détresse que j’en aurais presque rendu l’âme. Ce tourment était un piège des démons, et semblable épreuve vient de leur jalousie ; elle est très pénible, mais de courte durée ; pesante, ténébreuse, sans consolation ni repos, avec de toutes parts l’angoisse et l’oppression. Mais la grâce de Dieu vient promptement dans l’âme, sinon personne ne pourrait tenir. En proie donc à cette épreuve et à cette détresse, je me tenais un jour dans la cour du monastère, découragé et suppliant Dieu de venir à mon secours. Tout à coup, jetant un regard à l’intérieur de l’église, je vis pénétrer dans le sanctuaire quelqu'un ayant l'aspect d’un évêque et portant un vêtement d’hermine. Jamais je ne m'approchais d’un étranger sans une nécessité ou un ordre. Mais alors quelque chose m'attira, et je m’avançai sur ses pas. Longtemps demeura là debout, les mains tendues vers le ciel. Je me tenais derrière lui et priais avee beaucoup de crainte, car sa vue m'avait rempli d’effroi. Quand il eut cessé de prier, il se retourna et vint vers moi. À mesure qu'il s’approchait, je sentais s'éloigner ma tristesse et ma peur. Arrêté devant moi, il étendit sa main jusqu’à toucher ma poitrine et la frappa de ses doigts en disant : « Je n’ai cessé d’attendre le Seigneur. Il s’est incliné vers moi, il a écouté ma prière, il m’a tiré de la fosse de perdition et de la fange du bourbier ; il a établi mes pieds sur le roc et affermi mes pas. Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, une louange à notre Dieu » <Ps. 39:2-4>. Trois fois il répéta tous ces versets en me frappant la poitrine. Puis il s’en alla. Et aussitôt mon coeur fut rempli de lumière, de joie, de consolation, de douceur : je n’étais plus le même homme. Je sortis en courant à sa recherche, mais ne le trouvai pas ; il avait disparu. Depuis cette heure, par la miséricorde divine, je ne me rappelle pas avoir jamais été tourmenté par la tristesse ou la crainte. Le Seigneur m'a protégé jusqu’à maintenant, grâce aux prières de ces saints vieillards.
(transl. Regnault and Préville)