(1) Ce vrai bienheureux que fut l'abbé Dorothée, embrassant avec la grâce de Dieu la vie monastique, se retira dans le monastère de l’abbé Séridos. Il y trouva beaucoup de grands ascètes qui vivaient en hésychastes. Parmi eux brillaient deux Vieillards remarquables, le très saint Barsanuphe et son disciple ou plus exactement son compagnon d’ascèse, l’abbé Jean, surnommé le Prophète à cause du don de discernement qu’il avait reçu de Dieu. En toute confiance Dorothée s’abandonna à eux : il communiquait avec le Grand Vieillard par l'intermédiaire du saint abbé Séridos, et il fut même jugé digne de servir l'abbé Jean le Prophète. Ces saints Vieillards décidèrent ensemble qu’il bâtît là une infirmerie et qu’il en eût la charge ; car les frères souffraient beaucoup lorsqu'ils étaient malades, n’ayant personne pour s'occuper d’eux. Il fit donc l'infirmerie avec l’aide de Dieu, son propre frère selon la chair pourvoyant aux dépenses — cet homme était en effet très bon chrétien et grand ami des moines. Et, comme je l’ai dit, c'était l'abbé Dorothée qui soignait les malades avec quelques autres frères craignant Dieu, lui-même ayant la responsabilité de ce service.
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(6) Le jeune Dosithée était très habile en tout travail qu'il faisait. Il servait les malades à l’infirmerie, et chacun était content de ses services, car il faisait parfaitement toutes choses. S'il lui arrivait pourtant de s’impatienter contre l’un des malades et de dire un mot avec humeur, il laissait tout et entrait dans le cellier en pleurant. Les autres servants de l’infirmerie y venaient pour le éconforter, mais il ne se consolait point. Alors ils allaient dire à l’abbé Dorothée : « Seigneur, aie la bonté de voir ce qu’a ce frère : il pleure et nous ne savons pourquoi.» Il entrait et le trouvait assis par terre, tout en larmes. Il lui disait : «Qu’y a-t-il, Dosithée? Qu’as-tu? Pourquoi pleures-tu ? — Pardonne-moi, seigneur. Je me suis fâché et j’ai mal parlé à mon frère. — Ainsi, Dosithée, tu te fâches ! Et tu n’as pas honte de te mettre en colère et de mal parler à ton frère ! Ne sais-tu donc pas qu'il est le Christ, et que c'est au Christ que tu fais de la peine?» Et Dosithée baissait les yeux, en pleurant, sans rien dire. Quand Dorothée voyait qu'il avait suffisamment pleuré, il lui disait alors : «Que Dieu te pardonne! Allons, debout ! Reprenons tout à partir de maintenant. Soyons attentifs désormais, et Dieu nous aidera!» Aussitôt qu’il avait entendu, Dosithée se levait et courait avec joie à son service, persuadé qu'il avait vraiment reçu de Dieu son pardon.
Connaissant son habitude, ceux de l’infirmerie, lorsqu'ils le voyaient pleurer, disaient : «Qu’a donc Dosithée ? En quoi a-t-il fauté? ». Et ils disaient au bienheureux Dorothée : «Seigneur, entre dans le cellier ; il y a là du travail pour toi.» Lors donc qu'il y entrait et trouvait Dosithée assis par terre, en larmes, il comprenait qu'il avait dit quelque parole mauvaise et lui disait : « Qu’y a-t-il, Dosithée? Tu as encore contristé le Christ? Tu t’es encore irrité? N’as-tu pas honte? Ne te corrigeras-tu pas à la fin?» Et Dosithée continuait à pleurer beaucoup. Quand il le voyait rassasié de larmes, Dorothée reprenait : « Allons, lève-toi ! Que Dieu te pardonne ! Encore une fois, reprends tout par le commencement ! Corrige-toi enfin ! » Et lui, sur-le-champ, secouait son chagrin avec confiance et s’en allait à son travail.
(transl. Regnault and Préville)